Tome 1: où l’on en apprend plus sur l’identité d’Ernest et Célestine…

Marie-Paule-Lambrecht, vous êtes historienne de l’art et archiviste, et vous travaillez actuellement à la biographie de Monique Martin. Comment avez-vous connu son travail?

A l’époque, j’avais trois jeunes enfants et lorsque j’en avais le loisir, j’aimais fureter en librairie pour leur trouver des lectures qui allient message et beauté de l’image. La beauté de l’image, et la beauté tout court, c’est un besoin vital chez moi, un baume, une consolation, un regain d’énergie face à ce qui abîme le quotidien : tous les agacements que peuvent connaître les mamans, jeunes et moins jeunes.

Un jour, un chienQuand on ouvre un album de Gabrielle Vincent, on y trouve à chaque page, cette beauté, cette beauté du simple, du connu. Une beauté qui nous est accessible. J’ai découvert Gabrielle Vincent, en feuilletant « Un jour, un chien » : j’y ai retrouvé toutes les sensations de la mer du Nord. Lorsque je tourne les pages d’un livre, en général c’est en marche arrière, de la fin du livre vers le début.  Dans « Un jour, un chien », j’ai d’abord vu la plage, et entre les pattes du chien, l’humidité du sable qui remonte, vision que j’ai tant de fois distraitement saisie tandis que mes enfants jouaient sur la plage.

Gabrielle Vincent a la faculté extraordinaire de rendre l’impalpable, et cela avec un nombre de traits extrêmement réduit, qui coïncide précisément avec ce concept de « l’à peine perceptible ». Il faut soit avoir beaucoup exercé le dessin pour arriver à rendre cet essentiel soit avoir du génie.  Je crois que Gabrielle Vincent avait les deux.

Et puis, à côté de la beauté de l’image, il y a le message.  Chez Gabrielle Vincent, c’est toujours un message d’amour.  Ses histoires donnent des leçons d’amour. « Leçon » ! : elle n’aurait pas aimé le mot alors disons plutôt « démonstration » qui convient un peu mieux, mais dans le sens d’un rapport d’une personne à une autre, jamais un show ou une démonstration à visée publique.

Connaissez-vous l’histoire de la création d’Ernest et Célestine?

Monique Martin

Concernant les prénoms « Ernest » et « Célestine », on peut dire qu’elle les a choisis par humour. C’était des petits noms tout à fait désuets à l’époque, dans les années ‘80. C’était quelqu’un qui avait beaucoup d’humour.

Concernant leur identité, on en sait un peu plus. Elle ne l’a pas dit d’entrée de jeu, elle ne l’a pas dit à des journalistes, mais elle l’a dit dans sa correspondance à ses meilleurs amis.

Elle a eu un mentor, comme elle l’appelle. Quand elle a eu fini l’école des Beaux-Arts avec la plus grande distinction et les félicitations du jury, un membre du jury, un certain Monsieur de Smet, l’a prise en charge et lui a dit : « Vous avez un talent fou mais vous devez être suivie et formée. Vous n’avez que vingt-trois ans, je vais continuer à vous former. » Et pendant au moins dix ans, il lui a imposé le noir et le blanc. Il disait que dans le noir et le blanc, on retrouve toutes les nuances de la couleur. Elle a travaillé ça d’arrache-pied. Elle était déjà épistolaire à cette époque-là, et entretenait une correspondance avec Monsieur de Smet.

Cet homme l’a maintenue pendant une dizaine d’années dans le noir et le blanc. Puis, il est décédé (il était beaucoup plus vieux qu’elle). À sa mort, elle a éprouvé une certaine mélancolie, et Monsieur de Smet est devenu Ernest. Dans une lettre, elle dit : « À présent que Ernest est pour moi Monsieur de Smet, je suis en paix avec sa fin puisque je le fais revivre dans ledit personnage ».

Et qui est Célestine ?

Ernest et Célestine chez le photographeCélestine, c’est elle. Une petite souris, elle va dans son trou, elle se cache. Monique était comme une petite souris. Par exemple, lorsque la Fondation Jacques Brel organise une exposition en 1989 sur les portraits que Monique a réalisés, c’est très pénible pour elle. Elle déteste tellement la mondanité des vernissages, qu’elle obtient l’approbation d’un ami de ne pas y aller. Et elle n’y va pas. Elle est comme une petite souris qui se cache dans un trou. Donc, la petite souris correspond très bien à sa personnalité. Elle a aussi un petit côté capricieux. Elle était comme ça, elle pouvait avoir des caprices de dernière minute mais ce n’était pas vraiment des caprices… C’est cette grande timidité qu’elle avait avec, à côté, une vie foisonnante… C’était une femme qui allait, sac à dos, dans le désert. Elle ne vivait pas cloîtrée, mais elle était cachée du monde, de la mondanité.

Suite de l'entretien...

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